206 SULLY PRUDHOMME
sa première manière, une manière féline et fourrée décèle toute sa grâce, s'attarde aussi à souligner les déceptions et les regrets des deux amants. Il proclame la vanité de leur songe et il raille leur joie si fragile que l'usure épuise dans la fadeur : ainsi ce poème décrit un rêve qui s'efforce d'être ardent et se perd dans le chimé- rique. — Paul Desjardins, plus clairvoyant, parle de « parabole morale » et semble saisir l'essence du livre, mais il avoue que l'œuvre est confuse et triste et il -laisse entendre qu'elle est « un beau poème manqué ». — Brunetière hésite devant ce livre. Ce critique ardent et loyal, qui dit assez rudement ce qu'il pense, refuse d'aborder la question posée par le poète : il se condamne au silence et la raison de ce silence est bien singu- lière, et n'est fondée que sur le trop modeste aveu du poète. Parce que Sully Prudhomme se défie de la valeur de son œuvre, le critique néglige un examen nécessaire et réserve sa pensée dont l'âpreté eût été certes si pénétrante. Décidément il ne faut pas tenir compte des préfaces des poètes : ou bien elles sont pleines de faste et d'orgueil comme celles de Victor Hugo, et elles nuisent à l'œuvre par le contraste qu'elles