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134 SULLY PRUDHOMME

Calme, la prunelle épurée Au soleil austère de l'art, Dans la pierre transfigurée 11 juge l'œuvre et sa durée D'un incorruptible regard.

Mais le poète ne connaît jamais cette paix enivrante apportée par le sentiment de la pléni- tude, parce que l'enchantement du mirage de l'art se dissipe vite devant sa lucidité et son scrupule. Il transporte la Beauté parmi les apparences fragiles déroulées par la vie. Il veut sortir du sanctuaire où l'on goûte des joies raffinées et solitaires. Il veut plier toute la vie à son rêve et il se heurte à d'infranchissables' obstacles. Tou- jours le souvenir de cette beauté souveraine et à peine entrevue se mêle aux objets de ce monde et répand partout la mélancolie du désaveu et la fadeur de la déception. De là ces strophes émou- vantes qui décrivent une forme subtile de la solitude de l'âme :

Mais quand malgré soi l'on regarde Une femme en ce spectre blanc, A lui parler l'on se hasarde Et bientôt, sans y prendre garde, Dans la pierre on coule du sang.

On appuie, en rêve, sur elle Les lèvres pour les apaiser; Mais, amante surnaturelle,