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graves où le battement de notre pensée est assez fort pour couvrir le tumulte de nos craintes. Livre vaste et formidable! C'est la première machine de guerre dressée contre le surnaturel. C'est la dissolution de l'idée religieuse par l'appel à la science et la compréhension de la nature. Le cœur de Lucrèce, soulevé par la pitié, veut arra- cher l'humanité à l'infortune. Comment? En chassant loin de nous les fantômes qui nous han- tent. Nous avons peur de la mort et nous avons peur des Dieux, et Lucrèce veut tuer en nous la peur de la mort en dissipant le prestige des puis- sances divines. Il montre que la crainte du néant est la source de tous nos vices, car l'homme dévoré par l'angoisse veut multiplier son senti- ment de la vie. L'avarice et l'envie, l'ambition et toutes les aberrations de l'amour sont les formes morbides de notre peur de la mort. Le mal qui nous ronge, la grande avarie humaine, je veux dire le Désir qui s'exaspère à mesure qu'il se satis- fait, est un enfant de la crainte : ainsi nous sen- tons en nous un gouffre d'où s'échappent des cris d'effroi, et ce gouffre est creusé par la pensée de la mort. C'est pourquoi il faut détruire la foi au surnaturel. La peur des Dieux entretient la