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Mais pour l’ultime son cœur flambe d’un ardent désir. Il ne peut plus l’attendre ; il se précipite à sa rencontre : « Je veux marcher vers la folie et ses soleils[1]. » Cette folie, il l’invoque comme un saint, comme le Rédempteur lui-même. Il se force « à croire à la démence ainsi qu’en une foi[2] », et c’est là un tableau admirable, aussi beau que la légende héracléenne, lorsque le héros, sous la torture de la tunique de Nessus, se jette sur un bûcher pour y trouver la mort dans une grande flamme rapide, au lieu de se laisser consumer par la multitude des petits tourments.

Nous atteignons ici au suprême degré du désespoir. La mort et la folie accolent leurs deux drapeaux, noir et rouge. Par voie de conséquence, selon une logique inouïe, Verhaeren, parce qu’il désespère de trouver un sens à la vie, a haussé la démence et la vésanie à la dignité de fin universelle. Mais justement cette conversion complète porte en elle les germes de la victoire. Ainsi que l’a magistralement démontré Johannès Schlaf, c’est au moment où il est le plus crucifié, où il s’écrie : « Je suis l’immensément perdu[3] »,

  1. « Fleur fatale » (les Soirs).
  2. « Le Roc » (les Flambeaux noirs).
  3. « Les Nombres » (idem).