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rir immensément emmailloté d’ennui[1] ». Il veut que cette douleur soit grande, ardente et sauvage pour le détruire ; il désire une fin qui soit belle et tragique. La volonté de vivre la vie se métamorphose ici en volonté de souffrir, voire de mourir. Subir toutes les tortures, sauf celles de la médiocrité ! Échapper ainsi au mépris de soi-même, à la maladie, à l’abattement !

N’entendre plus se taire, en sa maison d’ébène,
Qu’un silence total dont auraient peur les morts.[2]

Avec une volupté analogue à celle d’un flagellant, il entretient en lui ce feu caché, jusqu’à ce qu’il s’élève en un flamboiement d’incendie. Le fond le plus secret de l’art de Verhaeren réside toujours dans le goût de la surabondance, de la vigueur outrancière. C’est ainsi qu’il exalte sa douleur et sa neurasthénie jusqu’au merveilleux, jusqu’à l’ardent, jusqu’à l’immense. Cette idée de la délivrance éveille enfin un désir, suscite un cri. Voici que, pour la première fois depuis longtemps, le mot joie resplendit dans ce cri :

La joie, enfin, me vient, de souffrir par moi-même,
Parce que je le veux.[3]

  1. « Si morne ! » (Les Débâcles).
  2. « Le roc » (les Flambeaux noirs).
  3. « Insatiablement » (les Soirs).