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C’est pourquoi nous devons estimer comme inappréciable le fait qu’un poète, dans cet état, se soit observé, se soit expliqué à lui-même, que, sans effroi devant la laideur, la confusion de son moi, il ait trouvé assez d’énergie pour écrire l’histoire de son âme en pleine crise. La trilogie de Verhaeren : les Soirs, les Débâcles, les Flambeaux, constitue un document de la plus haute valeur pour le psychologue. On y voit une volonté pénétrante développer jusqu’aux dernières conséquences chacune des formes de la vie et décrire l’évolution d’une maladie intellectuelle qui touche presque à la folie. Un poète s’est trouvé qui, comme un médecin, a suivi obstinément les symptômes de son mal jusque dans la douleur la plus lancinante, et qui, du processus d’une inflammation nerveuse, a su faire un poème immortel.

Le décor de ce livre n’est plus la figuration même du pays ; c’est à peine s’il touche encore à la terre. C’est un grandiose paysage de rêve, des horizons semblables à ceux qui s’ouvrent en d’autres planètes, c’est un univers lunaire, un monde refroidi où ne parvient pas la chaleur terrestre, où seul un froid glacial remplit les lointaines solitudes, où nul être humain ne respire.