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logique dans la vie de Verhaeren que ce refus qu’il opposait alors au monde extérieur. Il fallut enlever la sonnerie de la porte parce qu’elle l’effrayait ; les habitants de la maison durent changer leurs chaussures pour des pantoufles de feutre ; les fenêtres furent fermées à cause du bruit de la rue. Ce furent là des années de véritable dépression, la crise du sens vital. Lorsqu’ils souffrent ainsi, les malades s’enferment loin du monde. Ils fuient les hommes, la lumière, le bruit, les livres, tout ce qui est contact avec le dehors. Leur instinct les avertit que tout, loin d’enrichir leur vie, renouvellera leur douleur. Ils tâchent à rendre le monde plus silencieux, atténuent les couleurs, se murent dans la monotonie et dans l’isolement. Bientôt cette « soudaine lassitude[1] » s’attaque au moral, paralyse la volonté, pour qui elle dérobe le sens de la vie. Toute valeur s’effondre, tout idéal s’évanouit dans le plus effroyable nihilisme. La terre n’est plus qu’un chaos, le ciel qu’un espace vide. Tout se réduit au néant, à l’absolue négation. Dans la vie d’un poète, de telles crises sont presque toujours stériles.

  1. « L’Heure mauvaise » (les Bords de la route).