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Les Moines ont été le dernier livre descriptif de Verhaeren, le dernier où il soit resté l’observateur impassible et purement extérieur des choses. Cependant, ici déjà, son tempérament lui interdit de les considérer sans ordre, sans rapport entre elles. Déjà agissent en lui le désir et la joie d’une multiplication et d’une exaltation. Il ne considère plus les moines isolément et sans lien entre eux : il les rassemble tous, en un finale dans une large synthèse. Derrière ces figures se dressent un ordre, régi par une loi mystérieuse, une puissance colossale qui est celle de la vie. Eux, qui ne sont que renoncement et solitude, épars dans les mille cloîtres du monde, ignorants les uns des autres, témoignent aux yeux du poète d’une majestueuse beauté morte dont ils sont les derniers vestiges, d’autant plus grands et d’autant plus beaux qu’ils ont, vivants, déjà perdu le sens de notre époque. Derniers débris du christianisme mourant au milieu d’un monde nouveau, ils surgissent devant nous dans un isolement tragique. « Seuls vous survivez grands au monde chrétien mort[1] ! » s’écrie le poète avec admiration à

  1. « Aux moines » (dans les Moines).