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tude. Cet amour, que vivifie une extase perpétuelle, vibre d’une passion sans cesse renouvelée. Être calme, c’est déjà s’amoindrir. « Je te regarde, et tous les jours je te découvre[1]. » Chaque jour a ranimé ce sentiment en l’affranchissant des joies purement physiques qui s’y mêlaient à l’origine. Ici, comme dans l’œuvre entière de Verhaeren, la sensualité a toujours été spiritualisée par la passion. Ce ne sont plus des attraits extérieurs qui charment ces amants à mesure qu’ils avancent dans la vie. Les lèvres ont pâli, le corps a perdu de sa fraîcheur, la chair de son éclat et de sa couleur ; les années d’union ont marqué les visages de leur empreinte. Seul l’amour a survécu dans les heures d’automne, il a dominé la matière : les altérations physiques n’ont pu l’atteindre, car lui-même se transformait, en s’exaltant, en se renouvelant sans cesse. Il est inébranlable et sûr.

Puisque je sais que rien au monde
Ne troublera jamais notre être exalté
Et que notre âme est trop profonde
Pour que l’amour dépende encor de la beauté.[2]

  1. « Voici quinze ans déjà » (les Heures d’après-midi).
  2. « Les baisers morts des défuntes années » (idem.).