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S’il exalte sa propre personnalité, ce n’est pas par vanité, mais par gratitude. Il ne voit, dans son corps, qu’un organisme qui lui permet de goûter la beauté, la puissance, toutes les splendeurs du monde, et de ressentir, avec une profonde émotion, la joie universelle des choses. Quoi de plus admirable que ce cri de reconnaissance que l’homme mûr adresse à ses yeux, à ses oreilles, à sa poitrine, qui lui font apprécier la beauté du monde avec la même intensité qu’auparavant :

Soyez remerciés, mes yeux,
D’être restés si clairs, sous mon front déjà vieux,
Pour voir au loin bouger et vibrer la lumière ;
Et vous, mes mains, de tressaillir dans le soleil ;
Et vous, mes doigts, de vous dorer aux fruits vermeils
Pendus au long du mur, près des roses trémières.

Soyez remercié, mon corps,
D’être ferme, rapide, et frémissant encor
Au toucher des vents prompts ou des brises profondes ;
Et vous, mon torse clair et mes larges poumons,
De respirer au long des mers ou sur les monts,
L’air radieux et vif qui baigne et mord les mondes.[1]

C’est ainsi qu’il célèbre tout ce qui se rattache à lui par une affinité quelconque : son

  1. « La Joie » (la Multiple Splendeur).