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le grand poète d’aujourd’hui, parce qu’il est le poète nécessaire et le poète de la nécessité. Il ne se contente pas de décrire la réalité moderne : il y applaudit. Il ne l’envisage pas sous un étroit positivisme : il célèbre la beauté qui s’en dégage. De notre époque il accepte tout, jusqu’aux résistances qu’il rencontra ; il y vit l’occasion heureuse d’accroître en lui l’instinct combattif de la vie. Son œuvre poétique est comme un orgue où se serait comprimé tout l’air que nous respirons. Lorsqu’il appuie sur les touches blanches et noires, lorsqu’il traduit des sentiments de douceur ou de force, c’est cet air qui fait vibrer tous ses poèmes. Tandis que les autres font entendre une voix toujours plus lasse et plus éteinte, plus timide et plus isolée, Verhaeren chante d’année en année plus haut et plus clair. Cet orgue est plein de résonances sacerdotales : il s’en exhale la force mystique d’une suprême prière. C’est bien en vérité une force religieuse, non point de renoncement, mais de confiance et de joie. À lire ces poèmes, le sang circule dans les artères, plus rapide, plus rouge, plus frais, notre monde nous paraît avoir plus d’emportement, plus d’âme et de beauté. En nous le sentiment de la vie, comme