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homogène que forme la réalité. Cette réalité, il la forge au gré de son inspiration, il la coule dans le moule d’un vaste poème lyrique. Voilà le secret de son œuvre, voilà le but de ses efforts. Et nous sentons, du même coup, combien il s’éloigne de la généralité des poètes. Ceux-ci s’abandonnent au monde extérieur : ils recueillent les sensations qui voltigent autour d’eux, comme de légers papillons, et viennent se fixer dans leurs vers, épinglées avec amour. Verhaeren, lui, saisit l’âme universelle des choses : il transforme l’univers, et le recrée par l’effort de son enthousiasme. Il est le poète lyrique que Carducci décrit en des vers inoubliables ; non pas le fainéant qui somnole, non pas le jardinier qui fleurit les parterres et cueille, pour les dames, des violettes aux corolles tremblantes,

Il poèta e un grande artiere,
Che al mestiere
Fece i muscoli d’acciaio,
Capo ha fier, collo robusto,
Nudo il busto,
Duro il braccio, e l’occhio gaio.

Ce « piccia, piccia », ce rythme de Carducci, ce marteau d’airain retombant sur l’enclume,