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beauté : tels tous ceux qui, comme l’Américain Walt Whitman, se sentent pleins de force et d’énergie. Dehmel est un des rares en Allemagne qui ose regarder l’univers en face, sans crainte d’en être blessé. Verhaeren, lui, se sent attiré par la netteté et l’intensité des impressions, par l’éclat des couleurs. Il ne considère pas les choses dans leur sommeil, alors qu’elles s’offrent d’elles-mêmes à l’inspiration du poète, il les contemple au grand jour, alors qu’elles semblent se défendre et se raidir contre les atteintes du lyrisme. Il goûte le jour, qui accuse les contrastes, la lumière, qui réchauffe le sang, la pluie qui pénètre la peau, le vent qui fouette les nerfs ; il aime le froid, le bruit, tout ce qui nous heurte violemment et nous force à réagir. Aux formes souples et molles, il préfère les contours arrêtés. Il sourit à la sombre et menaçante Tolède plutôt qu’à la douce Florence aux rêves d’or. Son esprit mâle et combattif se plaît aux paysages tourmentés et tragiques ; il recherche les grandes villes bruyantes, où l’air est chargé de fumées et d’émanations délétères.

Sa nervosité n’a rien de maladif. Il ne vibre pas, à la moindre excitation, pour se trouver ensuite désarmé devant une impression trop vio-