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exercer ce « pouvoir magique de s’hypnotiser soi-même[1] », telle est la fin de son lyrisme. Lorsqu’il s’abandonne à son inspiration, il se parle à lui-même, il se donne cette impulsion dont les autres ressentiront le contre-coup. Maintenant, point de regrets stériles dans son œuvre, point de plainte, point de désir : partout une force, une richesse débordante. Jamais de découragement : toujours un incessant effort vers la vie. Sa poésie n’incline pas à la rêverie, comme la musique ; elle ne symbolise pas, comme la peinture : elle agit, à la façon d’un vin généreux.

Son lyrisme fortifie et décuple toutes les sensations, il triomphe de tous les obstacles, il aboutit à un allégement, à une béatitude, à une ivresse délicieuse, détachée de tout lien matériel. Cette ivresse à laquelle il s’élève est, pour le poète, « non seulement la glorification de la nature, mais la glorification même d’une vision intérieure ». Son attitude n’est point l’indifférence ou la douleur : c’est le geste sublime et irrésistible d’une main qui se tend vers le monde, qui adjure l’humanité, ani-

  1. Albert Mockel, Émile Verhaeren.