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une véritable monnaie dont la valeur d’expression aura toujours cours dans la langue.

C’est cette brusquerie rude, qui va parfois jusqu’à la brutalité, ce dédain des transitions harmonieuses, qui créent l’individualité du poème verhaerenien. Au fond, ce sont là tous les caractères d’une virilité puissante. La musique des vers est gutturale, profonde, âpre : leur voix est mâle. La plastique des poèmes, comme un corps masculin, se développe selon les beaux mouvements de la force : si, dès qu’on les fige au repos, les gestes sont heurtés, ils se retrouvent toujours, au moment de la passion, d’une beauté triomphale. Tandis que la poésie française suivait en quelque sorte le rythme du corps féminin, en imitait la grâce souple et les lignes délicates et ne s’attachait qu’à trouver l’harmonie, le poème verhaerenien n’a prétendu qu’à l’expression du mouvement, tel que le décèle la marche vigoureuse et fière de l’homme. C’est pour une autre raison encore que les Français l’ont si longtemps répudié : dans la langue que le poète emploie, la trace des origines allemandes qui nous réjouit si fort, ne se révèle à un Français que par la sensation d’une rudesse toute germanique. Tandis que nous autres, Allemands, croyons