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mouvement se change en une sorte d’onde à vagues rythmiques. Puis cela ne lui suffit plus. L’excès de son tempérament ne supporte aucune entrave extérieure. Car ce n’est point la tranquillité qu’il veut décrire, mais sa propre agitation avec ses frémissements et ses inquiétudes fébriles. Une impression violente qui module en un cri sa multiplicité ne saurait, pour revivre, s’enfermer dans un vers régulier. Il lui faut le geste de la passion, le mouvement de la liberté : c’est-à-dire le vers libre. Certes celui-ci fut, en France, vers le même temps, employé par bien d’autres poètes, dont plusieurs se disputent la priorité de son « invention ». Mais que signifient de telles coïncidences, sinon qu’elles sont non le produit du hasard mais d’une sorte de réflexe consécutif à la modernité des sentiments ambiants, au désir inquiet où se cherche la poésie d’une époque. Il est tout à fait indifférent de savoir si Verhaeren a eu ou non des modèles. Les emprunts extérieurs ne peuvent jamais s’assimiler intimement à l’organisme : seules les acquisitions de sa propre vie constituent pour l’homme un véritable gain. Pour Verhaeren, c’est une nécessité intérieure qui le poussait à briser le vieil instrument pour s’en créer un nouveau, nécessité inté-