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recourir à l’intermédiaire du comédien. Le pur lyrisme n’était pas la fin, mais seulement le moyen, un artifice à peine valable pour trois ou quatre heures. Le temps n’est plus où le poète se trouvait nécessairement isolé de la foule par l’immensité des distances qui séparent les nations. L’obstacle semble aujourd’hui surmonté : les distances se sont rapprochées et les villes ont réalisé d’immenses centres industriels. De nouveau les poètes lisent leurs vers en public, comme dans les Universités populaires d’Amérique. Dans les temples même, les poèmes de Walt Whitman s’adressent aux consciences américaines. Bien plus, presque chaque jour, des effervescences politiques consacrent à la poésie des minutes ardentes : qu’on se rappelle Petöfy, sur les degrés de l’Université, déclamant à la foule révolutionnaire les strophes de son chant national, Talpia Magyar. Comme autrefois, le poète lyrique semble aujourd’hui devoir jouer le rôle de guide spirituel de ses contemporains, ou, du moins, il est celui qui cueille et qui règle leurs passions, l’orateur qui enflamme les énergies et en attise le feu sacré. Il paraît attendre que « toute la vie s’accumule en éclairs pour se répandre à travers les ténèbres »,