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est comme une question encore non formulée qui provoque la réponse en y pénétrant par avance. Mais, dès que le poète ne parla plus directement à la foule et qu’il cessa d’être le centre d’un cercle, dès qu’il créa le mot uniquement pour l’écriture et pour l’imprimerie, un sentiment nouveau et très particulier se développa en lui. Il s’habitua à ne parler que pour lui-même, à n’attacher d’importance qu’à sa propre impression, sans se soucier de l’effet produit. Il ne s’entretint plus qu’avec lui-même et avec le silence. Et la poésie poursuivit son évolution. Comme nul murmure haletant ne venait plus répondre à son poème, comme ni cri de passion, ni joie d’enthousiasme ne servait plus de finale à ses vers ainsi qu’un dernier accord prolongeant sa musique, le poète essaya de compléter cette harmonie au moyen même du vers. Avec un soin d’artiste, il arrondit son poème comme les flancs d’un vase, l’enlumina de couleurs comme un tableau, et le remplit en quelque sorte de musique. De plus en plus il renonça à entraîner la conviction et l’enthousiasme. La poésie n’eut plus que froideur vis-à-vis des autres hommes, enfermée qu’elle était dans son émotion égoïste et dans la perception de son