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éprouver le sentiment européen, comme Walt Whitman le sentiment américain, pour situer le poète au rang des hommes les plus considérables de notre temps. Parmi les poètes, il est peut-être le seul dont la sensibilité ait été vraiment conforme à la sensibilité contemporaine. Cela exprime tout son mérite. Il s’est passionné de tout son être pour les problèmes qui passionnent la masse : il a compris l’énergie des nouvelles formations sociales, l’esthétique de cette organisation, la grandeur de la production mécanique, en un mot, la poésie des choses matérielles. Dans ses vers, c’est tout notre temps qui parle ; et les temps nouveaux s’expriment dans une langue neuve. Ce n’est pas une fantaisie littéraire que ce rythme qu’il a trouvé le premier : il bat à l’unisson avec le cœur de la foule, il est l’écho du halètement de nos villes géantes, du bruit des locomotives, des cris populaires. Sa voix a une ampleur inconnue, car ce n’est plus la voix d’un homme, mais celle qui réunit les clameurs multiples de la foule. À mesure qu’il pénètre plus profondément le sentiment des masses, il en peut dans ses vers formuler plus fortement l’expression orageuse. La sourde nuance, le cri bestial, la fureur indomptée, toute