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timents de l’homme moderne sont déterminés par le milieu auquel il appartient. Le monde l’entraîne dans sa marche et lui impose ses propres instincts. Nous sentons tous socialement, et pas un instant notre imagination ne peut supprimer ceux qui nous précèdent et ceux qui nous environnent, et qui sont comme l’air que nous respirons. Nous pouvons fuir leur présence ; mais ce qui a pénétré d’eux-mêmes en nous est inéluctable. Comme une force de la nature, la foule nous domine et nous nourrit de ses sentiments. L’homme non social est une fiction pure. Dans une grande ville, fût-on retiré au plus profond d’une chambre, on ne peut échapper au bruit et au rythme de la rue. Ainsi est-il impossible de tenir sa pensée isolée, et son âme à l’écart des grandes excitations intellectuelles de la foule. Verhaeren lui-même l’avait essayé, au temps où il écrivait ces vers :

Mon rêve, enfermons-nous dans ces choses lointaines
Comme en de tragiques tombeaux.[1]

Mais la vie réelle l’a ressaisi ; car la société anéantit qui se détourne d’elle comme qui vivrait loin de l’air pur. Le poète, lui aussi,

  1. « Sous les Prétoriens » (les Bords de la route).