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tiquement dans cette vision colossale que sont les Villes tentaculaires. Subitement des villes ont surgi ; des milliers d’hommes s’y sont agglomérés. D’où venaient-ils ? De quelles sources ces masses formidables ont-elles soudain afflué dans ces immenses réservoirs ? La réponse est immédiate. Le cœur de la ville est nourri du sang des campagnes. Les champs s’appauvrissent. Fascinés, les paysans cheminent vers la ville de l’or, vers la ville qui flamboie dans le soir, qui recèle la richesse et le pouvoir. Ils s’y rendent, ayant chargé leurs dernières nippes sur leurs charrettes, afin de les vendre ; ils partent avec leur fille pour l’exposer aux désirs sensuels, avec leur fils pour l’envoyer à la mort dans les usines ; ils partent pour tremper, eux aussi, leurs mains dans ce fleuve frémissant qui roule de l’or. La terre est abandonnée. Seules, les silhouettes fantastiques des malheureux idiots chancellent sur les routes désertes. Les moulins désemparés tournent à vide dans le vent. Les fièvres montent des marais, où l’eau, désormais stagnante avec ses canaux obstrués, répand la maladie et la pestilence. Des mendiants se traînent de porte en porte, reflétant dans leurs yeux la misère et l’abandon du pays.