Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.

devant la rampe illuminée. Le peuple se trouve ici rassasié des sensations qu’il aime. Chaque jour, l’art est assassiné dans ces mauvais lieux : pendant quelques heures l’ennui y est enchaîné, fouetté par la couleur, la flamme et la musique, aiguillé vers une autre volupté, qui attend au dehors que l’illusion d’ici se soit évanouie dans la nuit :

Et minuit sonne et la foule s’écoule
— Le hall fermé — parmi les trottoirs noirs ;
Et sous les lanternes qui pendent,
Rouges, dans la brume, ainsi que des viandes,
Ce sont les filles qui attendent…[1]


les filles, « les promeneuses », « les veuves d’elles-mêmes[2] » qui vivent de l’appétit sensuel de la foule. Car ici, comme tous les autres instincts, la volupté est organisée, canalisée. Mais l’instinct primordial n’a pas changé. Au dehors, dans les champs et dans les villages, la faim cause la joie saine des repas où la bière mousseuse déborde. Ici, la faim n’est plus que le désir de l’argent. Tout ici a faim d’argent : c’est vers l’argent que s’oriente toute l’activité

  1. « Les Spectacles » (les Villes tentaculaires).
  2. « Les Promeneuses » (idem).