Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette grande idée — nous l’avons vu — n’est pas spontanée : c’est là une connaissance acquise. À la mesure de l’ancienne beauté, le tableau d’une ville moderne est horrible. Elle ne connaît point le sommeil, durant son état de veille continue, et ne se repose point, comme la nature, dans le silence et dans l’obscurité. Sans répit, elle entraîne les hommes dans son tourbillon ; sans relâche, elle excite leurs nerfs, et son existence se poursuit jour et nuit. Le jour, elle a la teinte grise du plomb. C’est comme une mine obscure dont ses rues seraient les galeries, où des hommes enterrés travaillent sans repos, sans entrain et se livrent à un épuisant transport de passions. Il semble qu’elles aient été bâties pareilles à d’immenses forêts vierges de pierre et d’airain, et, parmi les rues — ces rues « à poumons lourds et haletants[1] » — aucune ne semble mener à l’air libre, au plein jour. Ces millions de fenêtres sont d’un aspect monotone. Et les antres obscurs où des hommes — semblables eux-mêmes à des automates — sont assis devant les machines, grondent sur l’insaisissable cadence d’un conti-

  1. « L’Âme de la Ville » (les Villes tentaculaires).