Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec la poésie : on s’éprenait des époques grecques, des diligences, des ruelles tortueuses ; on s’enthousiasmait pour toutes les cultures étrangères ; on niait que la nôtre pût être autre chose qu’un produit de dégénérescence. Quant à la démocratie, qui nivelle les conditions, elle semblait parquer le poète dans la caste bourgeoise en lui assignant le métier d’écrivain ; elle semblait ainsi marcher de pair avec le machinisme qui rend inutile toute habileté technique personnelle, par le moyen de ces usines où tout est si ingénieusement agencé. Tous les poètes, qui, dans la vie pratique, acceptaient volontiers d’user de tous ces avantages matériels, heureux de faire rapidement les plus longs voyages, de connaître le confort de l’habitation moderne, de voir se modifier dans le sens du luxe les conditions de la vie, de toucher des honoraires et de jouir de l’indépendance sociale, tous, avec opiniâtreté, se refusaient à découvrir dans l’utilité le moindre motif poétique, le moindre objet d’enthousiasme, d’excitation ou d’extase. Petit à petit, le poétique avait fini par être considéré comme opposé à l’utile. Pour ces poètes, toute évolution semblait marquer une régression dans l’ordre de la culture.