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tout à lui : ainsi le poème ne prétend plus obstinément clore l’univers entre les quatre murs de sa prison, il s’abandonne, au contraire, à chaque sentiment, à chaque rythme, à chaque phrase mélodique. Il s’adapte. Dans l’ardeur bouillonnante de son désir, il s’étend pour embrasser l’incommensurable étendue des cités. Il sait se comprimer pour enfermer en lui la beauté d’une seule fleur tombée. Il sait imiter tour à tour la voix tonnante de la rue, le bruit des machines, et les murmures amoureux dans un jardin, au printemps. Le poème peut désormais parler toutes les langues des sentiments, exprimer toutes les voix des hommes, maintenant que le cri plaintif et douloureux de l’isolé est devenu la voix universelle.

Cette joie nouvelle ne va pas sans apporter au poète la conscience de la faute que naguère il a commise. Il se prend à considérer les années qu’il a perdues en ne vivant que pour lui-même et pour ses sentiments égoïstes et mesquins : que n’écoutait-il la voix de son temps ! Par une étrange concordance du génie, l’œuvre de Verhaeren exprime ici ce que, dans les mêmes années peut-être, Dehmel a admirablement rendu dans son poème, le Sermon sur la montagne, lorsque,