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Et la route continue dans la clarté, « vers les claires métamorphoses[1] ».

Cette fuite dans le monde a été la délivrance suprême. Certes, le corps a retrouvé la santé ; il se réjouit du voyage et se plaît à la route ; l’âme a trouvé la sérénité ; la volonté, qui se sent pousser des ailes nouvelles, s’est encore fortifiée. Mais il y a plus, l’art du poète, lui-même, s’est infusé un sang plus rouge et plus frais. Jusque dans le vers de Verhaeren on sent la délivrance. Jadis, le poème, indifférent, descriptif et pittoresque, conservait la forme froide de l’alexandrin ; ensuite, en pleine crise, en proie à la cruelle monotonie, il s’était essayé à traduire la désolation et le vide des impressions par une uniformité terrifiante et belle de sa tristesse. Maintenant, comme sorti d’un rêve, ce poème prend une vie soudaine ; il sort du sommeil comme un fougueux animal ; il se dresse, il se cabre, il s’agite. Tous les gestes, il les imite : la menace, la malédiction, la joie et l’extase. Brusquement, loin de toutes les influences et de toutes les théories, le vers a conquis sa liberté. Le poète n’enferme plus le monde en sa personne, mais il se donne

  1. « Le Forgeron » (les Villages illusoires).