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filet troué, ne remonte du fleuve sombre que souffrance sur souffrance. Ses plaisirs où le mal rougeoie, il leur a donné la figure spirituelle de cet aventurier qui vient d’un pays lointain afin de retrouver l’amante unique. Les sentiments ne se traduisent plus ici par de vagues accords dans des rêves fluides ; ils s’enclosent dans des formes humaines, multiples et changeantes. C’est ici le symbolisme, dans le sens de la délivrance gœthienne. Car une sorte d’enchantement chasse de la poitrine du poète tout sentiment qui a trouvé sa forme artistique. Ainsi, peu à peu, l’âme du poète se débarrasse de son pesant fardeau, et la fièvre morbide disparaît de son œuvre. C’est maintenant qu’il peut dévisager l’orgueil et, derrière son masque, la lâcheté qui le poussait au meurtre de soi-même et qui l’obligea à cette fuite devant le monde ; c’est maintenant qu’il aperçoit combien fut néfaste cet égoïsme qui l’isolait de l’univers :

J’ai été lâche et je me suis enfui
Du monde, en mon orgueil futile.[1]

En se rendant compte, il a prononcé les mots qui achèvent de le libérer. La crise est finie.

  1. « Saint Georges » (les Apparus dans mes chemins).