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comme si rien de la rue tragique n’y fût jamais entré. Marc crut donc prudent de n’en souffler mot non plus, muet sur l’emploi si mouvementé de son après-midi. Le soir, en se couchant, il se contenta de dire à sa femme qu’il était absolument rassuré sur le sort de son ami Simon. Geneviève s’en montra heureuse, et ils causèrent assez tard, car ils n’étaient plus jamais seuls, comme étrangers, dans cette maison où ils ne pouvaient parler librement. Leur sommeil, aux bras l’un de l’autre, fut délicieux, en une reprise de leur être tout entier. Mais, le matin, Marc eut le douloureux étonnement de trouver dans Le Petit Beaumontais un article abominable contre Simon. Il se rappelait la note de la veille, si sympathique, comblant l’instituteur d’éloges ; et, voilà qu’un jour avait suffi, le revirement était complet, le juif se trouvait sauvagement sacrifié, accusé nettement du crime ignoble, avec une extraordinaire perfidie d’hypothèses et d’interprétations fausses. Que s’était-il donc passé, quelle influence puissante avait agi, d’où venait cet article empoisonné, si soigneusement construit pour condamner à jamais le juif dans l’ignorance populaire, avide de mensonge ? Un tel mélodrame, aux mystérieuses complications, aux invraisemblances extraordinaires de conte bleu, allait être, il le sentit bien, la légende devenue réalité, la vérité certaine dont les gens ne voudraient plus démordre. Et il eut encore, lorsqu’il l’eut achevé, cette sensation d’un sourd travail dans l’ombre, de la besogne immense que des forces mystérieuses faisaient depuis la veille, afin de perdre l’innocent et de sauver le coupable inconnu.

Cependant, aucun événement nouveau ne s’était produit, les magistrats n’avaient pas reparu, il n’y avait toujours là que les gendarmes gardant la chambre du crime, où le pauvre petit corps attendait d’être enseveli. La veille, l’autopsie n’avait fait que confirmer la brutalité du viol,