Page:Zola - Vérité.djvu/747

Cette page n’a pas encore été corrigée

puisque j’ai eu la force d’échapper à l’empoisonnement. Mais que de femmes sont restées au fond de l’antique geôle, agonisantes, et que de ménages ont succombé dans la douleur ! Moi-même, je n’ai jamais été bien guérie, j’ai toujours tremblé d’être reprise, tellement je sentais en moi la longue hérédité, la perversion et la démence de l’éducation première ; et c’est grâce à toi, à ta raison solide, à ton active tendresse, que j’ai pu me tenir debout… Je te remercie, mon bon Marc.

Des larmes heureuses lui étaient venues aux yeux, elle continua, au milieu d’une émotion croissante.

— Ah ! ma pauvre grand-mère, ma pauvre mère !… Oui, je les plains, je les ai vues si misérables, travaillées de tels ferments destructeurs, comme jetées hors de leur sexe, dans leur martyre volontaire. Elle était terrible, la pauvre grand-mère, mais elle n’avait connu aucune joie, elle vivait dans un perpétuel néant, pourquoi n’aurait-elle pas rêvé de plier les autres à son renoncement douloureux ? Et ma pauvre mère, quelle longue agonie a été la sienne d’avoir goûté la douceur d’être aimée, et d’être retombée sans fin à cette religion de mensonge et de mort, qui nie toutes les forces et toutes les joies de la vie !

Deux ombres venaient de passer, les figures disparues de Mme Duparque et de Mme Berthereau, les dévotes inquiétantes et pitoyables d’un autre âge, l’une toute à la féroce Église exterminatrice d’autrefois, l’autre adoucie déjà, mourant désespérée de n’avoir pas tenté de rompre sa chaîne. Du regard, Geneviève sembla les suivre, elle la petite-fille, la fille, en qui le rude combat s’était livré, toujours meurtrie de la lutte, mais si heureuse de s’être un jour sentie libre, retournée à la vie, à la santé. Et ses yeux, ensuite, se posèrent sur Louise, sa fille, qui lui souriait tendrement, et qui se pencha pour l’embrasser.