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l’invention stupide et passionnante. C’était bon autrefois, lorsque les hommes restaient comme des petits enfants, avides d’invraisemblances. Aujourd’hui, on savait trop de choses, on n’acceptait pas une pareille histoire sans raisonner. D’abord, on sut tout de suite que François n’était justement pas franc-maçon. Puis, pas un témoin ne l’avait vu, il semblait prouvé qu’il était au loin, dans quelque nid d’amour, avec cette Colette disparue de Maillebois en même temps que lui. Toutes sortes de raisons, d’ailleurs, militaient en faveur de son innocence, et le pays entier le jugeait comme sa famille : un passionné qui avait pu céder à une folie de désir, mais un père tendre qui était incapable d’un attentat contre sa fille. Des témoignages excellents arrivaient de partout, les parents de ses élèves disaient sa douceur, les gens du voisinage racontaient son affection pour sa femme, même dans ses égarements. Et, cependant, l’opinion se trouvait en présence de l’accusation formelle de Rose, de la preuve troublante du mouchoir, de la scène racontée tant de fois par Marsoullier, mystère irritant, question poignante qui se posait à l’esprit de tous, capable désormais d’examiner et de juger. Si François, malgré les apparences accablantes, n’était pas le vrai coupable, un autre était donc ce coupable, et qui pouvait-il être, comment le découvrir ?

Alors, pendant que la justice faisait son œuvre, menait son enquête, on vit ce spectacle nouveau, de simples citoyens apporter leur contribution, s’efforcer de dire tout ce qu’ils savaient, tout ce qu’ils avaient vu, senti et compris. C’était, dans les intelligences cultivées, comme un besoin général de justice, une crainte qu’une erreur pût être commise. Un Bongard vint de lui-même déposer que, le soir de l’attentat, il avait aperçu, devant la mairie, un homme effaré, qui semblait accourir de la place des Capucins ; et ce n’était certainement pas François. Un