Savin. Alors, sur le passage de la voiture, qui s’avançait lentement parmi les flots pressés du peuple, ce fut une ovation extraordinaire. Comme fouetté par l’abominable scène dont tous frémissaient encore, l’enthousiasme débordait, on ne cessait d’acclamer et d’applaudir la victime, dont l’innocence, la torture, l’héroïsme prenaient un redoublement de gloire, à la suite de l’aveu public du coupable, immonde et fou dans sa sauvage grandeur. Des femmes pleuraient, soulevaient leurs enfants pour leur montrer le héros. Des hommes voulurent dételer les chevaux ; et ils les dételèrent, le landau fut traîné jusqu’à la maison votive par tous les hommes vaillants du pays. Sur tout le parcours, jonché de fleurs, des fleurs encore étaient jetées des fenêtres, où les mouchoirs s’agitaient ainsi que des drapeaux. Il y eut une jeune fille très belle qui monta sur le marchepied, qui resta là comme la statue vivante de la jeunesse, apportant au triomphe du martyr le resplendissement de sa beauté. Des baisers volaient dans l’air, des paroles d’amour et de gloire venaient s’abattre dans la voiture, avec les bouquets qui pleuvaient de partout. Jamais émotion si intense n’avait soulevé un peuple, venue de si loin, arrachée de toutes les entrailles par la pensée d’une telle iniquité, cherchant la compensation impossible, la trouvant dans le don sans réserve, immense, du cœur de tous, de l’amour de tous. Gloire à l’innocent qui a manqué périr par la faute du peuple et à qui le peuple ne donnera jamais assez de joie ! Gloire au martyr qui a tant souffert, pour la méconnue, étranglée, et dont la victoire est enfin celle de l’esprit humain, se dégageant de l’erreur et du mensonge ! Gloire à l’instituteur frappé dans sa fonction, victime de son effort vers plus de lumière, d’autant plus exalté aujourd’hui qu’il aura payé d’une douleur chaque parcelle de vérité enseignée par lui aux ignorants et aux humbles.
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