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L’acquittement légal de Simon ne suffit pas, nous avons, nous autres, les enfants, les petits-enfants des bourreaux, le devoir strict de confesser et d’effacer la faute de nos pères… Hier soir, chez mon père, où se trouvaient réunis mon grand-père et mes oncles, je leur criais encore : « Comment avez-vous pu permettre une infamie pareille, aussi stupide que monstrueuse, lorsqu’un peu de raison aurait dû suffire pour l’empêcher ? » Et ils m’ont répondu comme toujours, avec des gestes vagues, qu’ils ne savaient pas, qu’ils ne pouvaient pas savoir.

Il y eut un silence, et tous les yeux se tournèrent vers Fernand, qui était de la génération coupable. Lui aussi s’en tira, d’un air embarrassé, en ôtant sa pipe de la bouche et en faisant un geste au loin.

— Mais, bien sûr, nous ne savions pas, comment aurions-nous pu savoir ? Ma mère et mon père signaient à peine leur nom, et ils n’étaient pas assez imprudents d’aller s’occuper des affaires des voisins, parce qu’ils auraient couru le risque d’en être punis. Moi, tout en ayant appris davantage, je n’étais guère très malin, et je me méfiais aussi, tant on a peur de risquer sa peau et ses sous, lorsqu’on se sent dans l’ignorance… Ah ! ça vous semble aisé à vous autres, aujourd’hui, d’avoir du courage et de l’intelligence, parce qu’on a fait de vous des savants. Mais j’aurais voulu vous voir, sans moyen de vous rendre compte, la tête perdue, au milieu d’un tas d’histoires où personne ne voyait clair.

— C’est bien vrai, confirma sa femme Lucile. Je ne me suis jamais crue une bête, et pourtant je ne comprenais pas grand-chose à tout ça. Je me défendais même d’y songer, parce que j’entendais ma mère répéter que le pauvre monde ne doit pas se mêler des affaires des riches, s’il ne veut pas y attraper plus de pauvreté encore.

Silencieux, Marc avait écouté d’un air grave. C’était tout le passé qui s’évoquait, il entendait Bongard et la