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Sans les écouter, Marc insista, mit le modèle dans les mains de Fernand qui, craignant d’être puni, faisant un effort, finit par dire :

— Non, monsieur, je ne l’ai pas vu.

Il avait levé la tête, il rencontra les yeux de son père, si rudement fixés sur les siens, qu’il se hâta d’ajouter, bégayant :

— À moins tout de même que je l’aie vu. Je ne sais pas.

Et rien ne put le faire sortir de là, Marc n’en tira plus que des réponses incohérentes, tandis que les parents eux-mêmes disaient oui, disaient non, au hasard de ce qu’ils croyaient être leur intérêt. Bongard avait ainsi la sage habitude de hocher la tête, approuvant toutes les opinions de ses interlocuteurs, pour ne pas se compromettre. Oui, oui, c’était bien affreux, ce crime, et si l’on prenait le coupable, on aurait bien raison de lui couper le cou. Chacun son métier, les gendarmes savaient le leur, il y avait des gredins partout. Quant aux curés, ils avaient du bon, mais on avait tout de même le droit de faire à son idée. Et Marc dut s’en aller, sous le regard curieux des enfants, poursuivi par la voix aiguë de la petite Angèle, qui jacassait avec son frère, maintenant que le monsieur n’était plus là pour les entendre.

En rentrant à Maillebois, le jeune homme réfléchissait tristement. Il venait de se heurter à l’épaisse couche d’ignorance, à la masse aveugle et sourde, énorme, endormie encore dans le sommeil de la terre. Derrière les Bongard, toute cette masse des campagnes s’obstinait toujours en sa végétation obscure, d’un éveil si ralenti. C’était tout un peuple à instruire, si l’on voulait enfin le faire naître à la vérité et à la justice. Mais quel labeur colossal, comment le tirer du limon où il s’attardait, que de générations il faudrait peut-être pour libérer la race des ténèbres ! À cette heure, la grande majorité du corps social restait ainsi