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qui la faisait travailler du matin au soir, sans une plainte. Aussi, ne s’inquiétait-il guère des progrès de ses enfants, le petit Fernand, travailleur, se donnant un mal terrible, sans pouvoir se rien entrer dans la tête, et la petite Angèle prenant plus de peine encore, têtue, finissant par être une élève passable. On eût dit la matière humaine brute, prise de la veille au limon, s’éveillant à l’intelligence par un lent et douloureux effort.

— Je suis l’ami de M. Simon, reprit Marc, et je viens de sa part, à propos de ce qui se passe. Vous avez bien entendu parler du crime ?

Certes, ils en avaient entendu parler. Brusquement, leurs visages, inquiets déjà, se fermèrent davantage, n’exprimèrent plus ni sentiments ni pensées. Pourquoi donc les venait-on questionner ainsi ? Ça ne regardait personne, leurs idées sur les choses. Et il fallait être prudent, dans ces histoires où souvent un mot de trop suffisait pour faire condamner un homme.

— Alors, continua Marc, je voudrais savoir si votre petit garçon a vu, dans sa classe, un modèle d’écriture pareil à celui-ci.

Il avait pris le soin d’écrire lui-même, sur une bande de papier, les mots : « Aimez-vous les uns les autres », en belle anglaise, de la grosseur voulue. Il acheva ses explications, il montra le papier à Fernand, qui le regardait ahuri, la cervelle lente, sans comprendre encore.

— Regarde bien, mon petit ami, as-tu vu un modèle pareil à l’école ?

Mais, avant que le gamin se fût décidé, Bongard intervint, de son air circonspect.

— Il ne sait pas, cet enfant, comment voulez-vous qu’il sache ?

Et la Bongard, l’ombre de son homme, répéta :

— Bien sûr qu’un enfant, ça ne peut jamais savoir.