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mains de son successeur Jauffre, l’homme de la congrégation, avait vite faibli, incapable d’agir, s’il ne sentait pas derrière lui le soutien d’une volonté solide. La prudence paysanne l’empêchait de se prononcer, il appartenait au curé ou à l’instituteur, selon celui des deux qui était le plus fort. Et, pendant que Jauffre s’effaçait, travaillant à son unique avancement, chantant, sonnant et communiant, l’abbé Cognasse redevenait peu à peu le maître de la commune, mettait sous lui le maire et le conseil municipal, à la secrète joie de la belle Mme Martineau, qui, sans être dévote, aimait à étrenner des robes neuves aux grand-messes des jours de fête. Jamais cette vérité n’était mieux apparue que tant vaut l’instituteur, tant vaut l’école, et que tant vaut l’école, tant vaut la commune. En moins de quelques années, la prospérité qui se déclarait, le pas en avant fait grâce à Marc, étaient perdus, et Jonville rétrogradait, et une torpeur croissante y paralysait la vie sociale, depuis que Jauffre y avait livré Martineau et ses administrés au triomphant Cognasse.

Seize ans se passèrent ainsi, et ce fut le désastre. Toute déchéance morale et intellectuelle entraîne fatalement une misère matérielle. Il n’est pas un pays où l’Église ait régné en maîtresse absolue, qui ne soit un pays mort. L’ignorance, l’erreur, la crédulité basse frappent l’homme d’impuissance totale. À quoi bon vouloir, agir, progresser, si l’on est entre les mains de Dieu comme un jouet dont s’amuse son caprice ? Dieu suffit, supplée à tout. Au bout de cette religion du néant terrestre et humain, il n’y a que la stupidité, l’inertie, l’abandon aux mains de la Providence, les terres cultivées par la routine, les habitants livrés à la paresse et à la famine. Jauffre laissait gorger ses élèves d’histoire sainte et de catéchisme, pendant que, dans les familles, toute culture nouvelle semblait suspecte. On ne savait pas, on ne voulait plus