Page:Zola - Vérité.djvu/551

Cette page n’a pas encore été corrigée

femme déchirée entre le prêtre et le mari, pour la tirer de son lâche abandon de recluse, morte aux soucis du monde, jusqu’à lui donner l’audace de se dresser contre sa terrible mère.

Maintenant, Mme Berthereau allait mourir, heureuse personnellement de cette délivrance. Mais, en voyant ses forces diminuer chaque jour, elle sentait grandir son désespoir de laisser Geneviève dans la torture où elle se débattait, à la merci de Mme Duparque. Quand elle-même ne serait plus là, que deviendrait sa pauvre enfant, sous l’impitoyable servage, au fond de cette maison d’agonie humaine, dont elle avait tant souffert ? Cela lui devenait intolérable de partir de la sorte, sans avoir rien fait, rien dit, qui pût la sauver, l’aider à retrouver quelque santé et quelque joie. Elle en était hantée, elle trouva le courage de se satisfaire, un soir où elle avait encore la force de parler, en le faisant doucement, avec une grande lenteur.

C’était un soir de septembre, tiède et pluvieux. La nuit venait, la petite chambre, d’une simplicité monacale, avec ses vieux meubles de noyer, s’obscurcissait peu à peu d’un pâle crépuscule. Et, comme la malade ne pouvait rester étendue, étouffant tout de suite, elle se trouvait assise sur sa chaise longue, le dos soutenu par des oreillers. À cinquante-six ans à peine, sa longue face meurtrie et triste, sous ses bandeaux de neige, semblait très ancienne, comme effacée et décolorée par le vide de sa vie. Geneviève était près d’elle, dans un fauteuil, et Louise venait de monter, apportant la tasse de lait, la seule nourriture que la malade pût supporter encore. Un silence lourd endormait la maison, une dernière sonnerie de la chapelle des Capucins venait de s’éteindre dans l’air mort de la petite place, toujours déserte.

— Ma fille, dit Mme Berthereau de sa voix si faible, si lente, puisque nous sommes seules, je te prie de m’écouter,