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les deux faits nouveaux que je soupçonnais et qu’il nous a été si difficile d’établir. D’abord, le modèle d’écriture vient de chez les frères, le paraphe n’est pas de l’écriture de Simon. Ensuite, le président Gragnon a communiqué illégalement au jury une pièce qui se trouve être un faux. Dans ces conditions, il est impossible que l’arrêt ne soit pas cassé par la Cour.

David et Marc s’en allèrent radieux. Mais quelle terrible rumeur dans Beaumont, lorsqu’on y connut la lettre de Jacquin, sa confession, son offre de témoignage ! Personnellement visé, le président Gragnon ferma sa porte, refusa de répondre aux journalistes, parut se draper dans un silence hautain. On le disait anéanti, ne retrouvant plus son ironie joviale de grand chasseur et de coureur de filles, sous cet effondrement qui le menaçait, à la veille de sa retraite, au moment de recevoir la cravate de commandeur. Sa femme, la belle Mme Gragnon, n’étant plus d’âge à lire des vers, en compagnie des jeunes officiers du général Jarousse, l’avait converti sur le tard, en lui démontrant sans doute les avantages d’une vieillesse pieuse ; et il la suivait, se confessait, communiait, donnait le haut exemple d’un catholique fervent, ce qui expliquait le zèle passionné mis par le père Crabot à empêcher Jacquin de soulager sa conscience. Le jésuite voulait surtout sauver Gragnon, un fidèle de cette importance, dont l’Église était fière. D’ailleurs, toute la magistrature de Beaumont se solidarisait avec le président, défendait l’ancien arrêt comme son œuvre propre, son chef-d’œuvre, auquel il n’était pas permis de toucher, sans crime de lèse-patrie. Par-dessous cette belle attitude indignée, grelottait une peur basse, lâche, immonde, la peur du bagne, des gendarmes abattant un soir leurs mains lourdes sur les robes noires ou rouges, fourrés d’hermine. L’ancien procureur de La Bissonnière, n’était plus à Beaumont, nommé