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bien. En attendant, il fuyait les occasions d’en parler, la bouche cousue, très inquiet lorsqu’il voyait les moines et les prêtres reprendre le haut du pavé, dans Maillebois, comme en une cité désormais conquise.

Les nouvelles avaient beau devenir mauvaises, Marc voulait se forcer à l’espoir. Il était maintenant très soutenu par la fidélité brave de son adjoint Mignot, qui se donnait à lui chaque jour davantage, en vivant de sa vie intime de dévouement et de lutte. Un singulier phénomène moral s’était produit là, cette sorte d’action lente d’un maître sur un disciple d’abord révolté, ramené et absorbé ensuite. Certes, chez Mignot, personne autrefois n’aurait soupçonné l’étoffe du héros qu’il devenait aujourd’hui. Il s’était montré très louche dans l’affaire, chargeant Simon, songeant surtout à ne pas se compromettre. Il paraissait uniquement préoccupé de son avancement, ni bon ni mauvais au fond, prêt à tourner bien ou mal, selon les circonstances et les hommes. Et Marc était venu, et dans la tragique histoire, il s’était trouvé l’homme, l’intelligence et la volonté, qui devaient décider de cette conscience, l’embellir, la hausser à la vérité et à la justice. Ainsi la leçon éclatait, lumineuse, certaine : il suffisait de l’exemple, de l’enseignement d’un héros, pour faire lever d’autres héros, du sein obscur et vague de la foule moyenne. Depuis dix ans, on avait à deux reprises voulu nommer Mignot instituteur dans un petit village voisin, et il avait refusé, il préférait rester auprès de Marc, dont l’action sur lui était devenue si grande, qu’il parlait de ne le quitter jamais, en disciple fidèle, résolu à vaincre ou à être vaincu avec le maître. De même, après avoir attendu pour se marier, selon son attitude première de prudente expectative, il avait décidé de rester garçon, disant qu’il était trop tard, que ses élèves à présent lui servaient de famille. Et, d’ailleurs, ne prenait-il