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— Attendre quoi ? que le pauvre homme soit mort là-bas, dans les tortures dont il se plaint !

Et la petite maison noire retomba dans sa détresse. Tous sentirent que le malheur n’était point fini. La grosse joie d’un moment faisait place de nouveau à l’anxiété affreuse du lendemain.

— Delbos seul peut nous guider, conclut David. Si vous le voulez bien, Marc, nous irons le voir jeudi.

C’est cela, venez me prendre jeudi.

Beaumont, la situation de l’avocat Delbos, en dix années, avait grandi singulièrement. L’affaire Simon avait décidé de son avenir, cette affaire compromettante refusée prudemment par tous ses confrères, acceptée et plaidée si bravement par lui. Il n’était alors qu’un fils de paysan, d’instincts démocratiques, doué d’éloquence. Mais, en étudiant l’affaire, en devenant peu à peu le défenseur passionné de la vérité, il s’était trouvé en présence de tous les pouvoirs bourgeois coalisés au profit du mensonge, pour le maintien des iniquités sociales, et il avait fini par être un socialiste militant, convaincu que l’unique salut du pays était dans le peuple. Tout le parti révolutionnaire de la ville s’était peu à peu groupé autour de lui, il avait un instant, aux dernières élections, mis en ballottage le radical Lemarrois, député depuis vingt ans. Et, s’il souffrait encore dans ses intérêts immédiats d’avoir défendu le juif, chargé de tous les crimes, il conquérait lentement une situation admirable par la solidité de sa foi et par la vaillance tranquille de ses actes, souriant et fort, certain de la victoire.

Dès que Marc lui eut montré le modèle d’écriture, remis par Mme Alexandre, Delbos eut un cri de joie.

— Enfin, nous les tenons !

Et, se tournant vers David :

— Cela nous donne un second fait nouveau… Le premier est la lettre qui a été communiquée illégalement au jury