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père Théodose, un franc et deux francs pour les petites faveurs, cinq francs et dix francs, lorsqu’on avait plus d’ambition. D’ailleurs, si l’on ne donnait pas assez, le saint vous le faisait comprendre en n’agissant pas, et il fallait doubler, tripler l’aumône. Les clients qui voulaient ne payer qu’après le miracle, couraient le risque de n’être jamais exaucés. Dieu, du reste, gardait sa liberté d’agir, choisissait les élus sans dire ses raisons, de sorte que les clients se trouvaient seuls engagés dans leur contrat avec le saint, qui lui non plus n’avait pas de compte à rendre. Aussi était-ce ce jeu de hasard, ce numéro bon ou mauvais pris à la divine loterie, qui achevait de passionner les foules, les faisant se ruer autour des troncs, donner vingt sous, quarante sous, cent sous, avec la croyance folle que le gros lot allait sortir, un gain illicite et inespéré, un beau mariage, un diplôme, un héritage colossal. Et c’était bien la plus impudente entreprise d’abêtissement public, la spéculation la plus éhontée sur la stupidité, les instincts de paresse et de convoitise, favorisant l’abandon de soi-même, l’idée du succès dû à la chance, sans mérite aucun, grâce à l’unique caprice d’un Dieu d’ironie et d’iniquité.

À l’enthousiasme fiévreux des groupes qui l’entouraient, Marc comprit que l’affaire allait s’élargir encore, empoisonner tout le pays, avec ce reliquaire d’argent doré et ciselé, où était enchâssé un fragment du crâne de saint Antoine de Padoue. C’était la dernière trouvaille du père Théodose, en réponse à des concurrences que d’autres communautés lui faisaient à Beaumont, tout un pullulement de statues et de troncs, invitant les fidèles à tenter le hasard du miracle. Maintenant, l’erreur devenait impossible, lui seul avait l’os sacré, il était seul à fournir le miracle, dans les meilleures conditions de réussite possible. Des affiches couvraient les murs de l’église, le nouveau prospectus annonçant la garantie indiscutable de la