Page:Zola - Vérité.djvu/168

Cette page n’a pas encore été corrigée

que des faces victorieuses de religieux et de prêtres. Et, fâcheusement, le nouvel instituteur nommé à la place de Simon, un petit homme pâle et chétif du nom de Méchain, ne paraissait guère capable de lutter contre le flot envahissant. On le disait malade de la poitrine, il souffrait beaucoup du rude hiver, abandonnant le plus souvent sa classe à l’adjoint Mignot, qui, désemparé depuis qu’il n’avait plus de directeur pour le conduire, écoutait les conseils de Mlle Rouzaire, de plus en plus acquise à la faction cléricale, maîtresse du pays. N’étaient-ce pas les petits cadeaux des parents, les bonnes notes de Mauraisin, l’avancement sûr ? Et elle l’avait décidé à conduire lui-même les élèves à la messe, elle lui avait fait raccrocher, au mur de la classe, un grand crucifix de bois. En haut lieu, on tolérait ces choses, peut-être en espérait-on un bon effet sur les familles, un retour des enfants à l’école communale. La vérité était que Maillebois entier passait aux cléricaux, et la crise avait pris une gravité extrême.

Aussi la désolation de Marc s’accroissait-elle encore, chaque fois qu’il constatait l’esprit de cruelle ignorance qui régnait dans le pays. Le nom de Simon y était devenu un tel objet d’horreur, un tel épouvantail, qu’on ne pouvait le prononcer, sans jeter les gens hors d’eux, de colère et de crainte. C’était le nom maudit qui portait malheur, le nom où se résumait, pour la foule, tout le crime humain. On devait se taire, ne jamais se permettre la moindre allusion, sous peine de déchaîner sur la patrie les pires catastrophes. Depuis le procès, il y avait bien quelques esprits raisonnables et droits, qui, très troublés, admettaient l’innocence possible du condamné ; mais, devant l’énormité furieuse du flot, ils n’ouvraient plus la bouche, ils conseillaient même le silence : à quoi bon protester, vouloir la justice ? pourquoi se perdre soi-même, se faire balayer comme une paille, sans utilité