intelligence avait gardé une indépendance native, remplissait passionnément sa tâche, parfois sans résignation. Sa femme, une grosse blonde agréable, la fille de boutique qu’il avait connue chez sa tante, la fruitière de Maillebois, puis épousée, en garçon honnête, après avoir eu d’elle sa première fillette, l’aidait bien un peu, s’occupait des petites filles, les faisait lire, leur apprenait à coudre, tandis que lui avait sur les bras les galopins de sa classe, fort mal élevés, têtes dures, cœurs méchants. Comment ne pas céder peu à peu aux découragements de son ingrate besogne, aux brusques révoltes de sa souffrance ? Né pauvre, il avait toujours souffert de la pauvreté, de la nourriture mauvaise, des vêtements rapiécés, blanchis aux coutures ; et, maintenant qu’il était un monsieur, cette pauvreté prenait une amertume affreuse. À son entour, il n’avait que des heureux, des paysans possédant de la terre, mangeant à leur faim, ayant l’orgueil des écus amassés. La plupart étaient des brutes, qui savaient à peine compter leurs dix doigts qui avaient besoin de lui pour rédiger une lettre. Et lui, le seul intelligent, le seul instruit et cultivé, manquait souvent des vingt sous nécessaires pour s’acheter des faux cols ou faire raccommoder ses souliers troués. Ils le traitaient en valet, l’accablaient de mépris, à cause de son veston en loques, qu’ils jalousaient au fond. Mais, surtout, la comparaison qu’ils établissaient inconsciemment entre l’instituteur et le curé, lui était désastreuse : l’instituteur si mal payé, si misérable, souffrant de l’irrespect des élèves et du dédain des parents, mal soutenu par ses chefs, sans autorité véritable ; le curé, rétribué beaucoup plus grassement, ayant en dehors du casuel l’aubaine de toutes sortes de cadeaux, soutenu par son évêque, choyé par les dévotes, parlant au nom d’un maître farouche, maître de la foudre, de la pluie et du soleil. Et voilà comment l’abbé Cognasse régnait toujours,
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