Page:Zola - Vérité.djvu/14

Cette page n’a pas encore été corrigée

derrière l’école, le désert, le silence se faisaient, l’herbe poussait entre les petits pavés. Une rue, la rue Courte, où il n’y avait que le presbytère et la papeterie tenue par les dames Milhomme, reliait ce bout ensommeillé de la place de la République à la place des Capucins. De sorte que Marc n’avait que trois pas à faire.

Les deux cours de récréation donnaient sur la rue Courte, séparées par les deux étroits jardins, qu’on avait ménagés, l’un pour l’instituteur, l’autre pour l’institutrice. Et, c’était au rez-de-chaussée du pavillon des garçons, à l’angle de la cour, que Simon avait pu donner une étroite pièce au petit, Zéphirin, lorsqu’il l’avait recueilli. L’enfant était un neveu de sa femme, Rachel Lehmann, un petit-fils des Lehmann, de pauvres tailleurs juifs, qui occupaient une maison noire de la rue du Trou, la rue la plus misérable de Maillebois. Le père, Daniel Lehmann, de quinze ans plus jeune que son frère le tailleur, mécanicien de son état, avait épousé par amour une orpheline catholique, Marie Prunier, élevée chez les sœurs, et couturière. Le ménage s’était adoré, et quand le petit Zéphirin naquit, on ne le baptisa pas, il ne fut d’aucune religion, le père et la mère n’ayant pas voulu se faire mutuellement le chagrin de le donner à son Dieu. Mais, six ans plus tard, la foudre tomba, Daniel mourut d’une mort épouvantable, happé, broyé par un engrenage, devant sa femme qui lui apportait son déjeuner, à l’usine. Et Marie, terrifiée, reconquise à la religion de sa jeunesse, voyant là un châtiment du ciel qui la punissait d’avoir aimé un juif, fit baptiser son fils, le mit ensuite à l’école chez les frères. Le pis était que l’enfant se courbait, devenait bossu, sous quelque tare héréditaire, dans laquelle la mère crut sentir l’implacable vengeance céleste, s’acharnant, parce qu’elle n’arrivait pas à s’arracher du cœur la mémoire adorée de son mari. Cette