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d’ici, son cas n’est-il pas désespérant ? Voilà un instituteur, fils d’instituteur, qui avait quinze ans en 70 et qui est entré à l’École normale trois ans plus tard, encore frémissant de l’invasion, grandi dans la colère et dans le besoin de la revanche. Alors, toute l’instruction était dirigée vers l’exaltation de l’idée de patrie. On voulait obtenir uniquement des soldats, l’armée devenait le temple, le sanctuaire, cette armée qui est restée trente ans l’arme au pied, dans l’attente, et qui a englouti des milliards. Aussi nous a-t-on fait une France guerrière, au lieu de la France de progrès, de vérité, de justice et de paix, qui pouvait sauver le monde… Et voilà donc Doutrequin, un bon républicain pourtant, un ancien fidèle de Gambetta, un anticlérical d’hier, que le patriotisme a jeté dans l’antisémitisme et qu’il finira par jeter dans le cléricalisme. Il vient de me tenir un discours extraordinaire, un reflet des articles du Petit Beaumontais, la France avant tout, la nécessité de chasser les juifs, le respect de l’année érigé en dogme, la raison d’État remise au service de la patrie menacée, enfin la liberté de l’enseignement élargie encore, ce qui veut dire, la place laissée entièrement libre aux congrégations enseignantes d’abêtir le peuple. C’est la faillite des républicains patriotes de la première heure… Pourtant, Doutrequin est un brave homme, un excellent instituteur, qui a aujourd’hui cinq adjoints sous sa direction et dont l’école est la mieux tenue de Beaumont. Deux de ses fils, déjà, sont adjoints dans le département, et je sais qu’ils partagent les idées de leur père, avec l’exagération de la jeunesse en plus. Où allons-nous, si un pareil esprit continue d’animer nos instituteurs primaires ?… Certes, oui, il est grand temps d’en faire d’autres, d’envoyer à notre pauvre peuple ignorant toute une légion d’intelligences libérées, qui lui enseigne la vérité, source unique d’équité, de bonté et de bonheur !