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le boucher s’était volontairement coupé le poing, dans un accès de furieuse colère, plutôt que de signer la cession de sa boutique à la Crêcherie. Les derniers événements, l’idée que la viande sainte, la viande des riches allait être mise à la portée de tous et paraître sur les tables les plus pauvres, devaient avoir bouleversé sa conception sociale de gros homme tyrannique, violent et réactionnaire, au point de le rendre fou. Et il était mort d’une gangrène mal soignée, en laissant sa veuve sous la terreur des derniers jurons, dont il l’avait accablée dans son agonie.

«  Et votre Julienne  ? demanda encore Mme Mitaine de son air aimable. Je l’ai rencontrée l’autre jour, elle est superbe.  »

L’ancienne bouchère dut finir par répondre. Elle désigna du geste un couple, dans un quadrille.

«  Elle est là qui danse. Je la surveille.  »

Julienne, en effet, dansait aux bras d’un grand et beau garçon, Louis Fauchard, le fils de l’ouvrier arracheur. Elle, forte, la chair blanche, la face rayonnante de santé, s’épanouissait d’aise, dans l’étreinte passionnée de ce gaillard vigoureux, au visage tendre, un des meilleurs forgerons de la Crêcherie.

«  Alors, c’est un mariage encore  ?   » reprit en riant la belle Mme Mitaine.

Mais Mme Dacheux se récria, avec un frisson.

«  Oh  ! non, oh  ! non, comment pouvez-vous dire cela  ? Vous connaissiez bien les idées de mon mari, il sortirait de sa tombe, si je mariais sa fille à cet ouvrier, le fils de ces pauvres gens, de cette Natalie pitoyable, toujours en quête d’un pot-au-feu à crédit, et qu’il a tant de fois chassée, parce qu’elle ne payait pas.  »

Elle continua, conta sa torture, d’une voix basse et tremblante. Son mari la visitait la nuit. Même mort, il la courbait sous son autorité despotique, la querellait et la