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dont l’importance continuait à croître. Et, dès lors, ce fut la terreur, chez tous les petits détaillants de Beauclair.

«  Il faut agir, il faut agir, répétait Laboque avec une violence croissante, lorsque Dacheux et Caffiaux le venaient voir. Si nous attendons que ce fou empoisonne tout le pays de ses doctrines monstrueuses, nous arriverons trop tard.

— Quoi faire  ?   » demandait prudemment Caffiaux.

Dacheux était pour les tueries franches.

«  On pourrait l’attendre au coin d’une rue, le soir, et lui allonger une de ces volées qui font réfléchir un homme.  »

Mais Laboque, petit et sournois, rêvait de moyens plus sûrs pour tuer son homme.

«  Non, non, toute la ville se soulève contre lui, il faut saisir une occasion où nous aurons toute la ville avec nous.  »

Et l’occasion, en effet, se présenta. Le vieux Beauclair, depuis des siècles, était traversé par un ruisseau infect, une sorte d’égout à découvert, qu’on nommait le Clouque. On ne savait même d’où il venait, il semblait sortir de dessous d’antiques masures, au débouché des gorges de Brias  ; et l’idée commune était qu’il s’agissait là d’un de ces torrents de montagne, dont les sources restent inconnues. Les très vieilles gens se souvenaient de l’avoir vu couler à pleins bords, à certaines époques. Mais, depuis de longues années, il ne débitait plus qu’une eau rare, dont les industries voisines empoisonnaient la fraîcheur. Les ménagères des maisons riveraines avaient même fini par le prendre comme l’évier naturel où elles déversaient leurs eaux de vaisselle et leurs ordures, de sorte qu’il roulait tous les détritus du quartier pauvre, et qu’il exhalait les jours d’été, une puanteur épouvantable. Un moment, des craintes sérieuses d’épidémie s’étant répandues, le conseil municipal, sur l’initiative du maire, avait discuté