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taient trouvés enfermés dans la même chambre, sans témoins, pouvant se livrer l’un à l’autre. Ils n’avaient plus eu de rendez-vous d’amour depuis le jour où Thérèse était venue rue Saint-Victor, apportant à Laurent l’idée du meurtre avec elle. Une pensée de prudence avait sevré leur chair. À peine s’étaient-ils permis de loin en loin un serrement de main, un baiser furtif. Après le meurtre de Camille, lorsque de nouveaux désirs les avaient brûlés, ils s’étaient contenus, attendant le soir des noces, se promettant des voluptés folles, lorsque l’impunité leur serait assurée. Et le soir des noces venait enfin d’arriver, et ils restaient face à face, anxieux, pris d’un malaise subit. Ils n’avaient qu’à allonger les bras pour se presser dans une étreinte passionnée, et leurs bras semblaient mous, comme déjà las et rassasiés d’amour. L’accablement de la journée les écrasait de plus en plus. Ils se regardaient sans désir, avec un embarras peureux, souffrant de rester ainsi silencieux et froids. Leurs rêves brûlants aboutissaient à une étrange réalité : il suffisait qu’ils eussent réussi à tuer Camille et à se marier ensemble, il suffisait que la bouche de Laurent eût effleuré l’épaule de Thérèse, pour que leur luxure fût contentée jusqu’à l’écœurement et à l’épouvante.

Ils se mirent à chercher désespérément en eux un peu de cette passion qui les brûlait jadis. Il leur semblait que leur peau était vide de muscles, vide de nerfs. Leur embarras, leur inquiétude croissaient ; ils avaient une mauvaise honte de rester ainsi muets et