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LE NATURALISME AU THÉÂTRE

quelques scènes puissantes, où l’on reconnaît la griffe d’Alexandre Dumas, cet inépuisable conteur, d’une invention si extraordinaire. Je vais tâcher d’indiquer ce qui me plaît et ce qui me déplaît.

J’ai beaucoup entendu vanter l’exposition, la rencontre de Coconnas et de La Mole, le soir même de la Saint-Barthélemy, leur combat, la fuite de La Mole jusque dans la chambre de la reine Marguerite, enfin le roi Charles IX tirant un coup d’arquebuse par une des fenêtres du Louvre. C’est une course, un piétinement, une bousculade à travers trois tableaux. Beaucoup de bruit, des cortèges, des coups de fusil, du mouvement à coup sûr, mais de la vie, pas le moins du monde ! Il ne faut pas confondre la vie avec le mouvement. Je suis certain qu’un simple tableau largement conçu, poserait beaucoup mieux la Saint-Barthélemy que ce tourbillon de gens qui se précipitent, sans que nous ayons le temps de faire connaissance avec eux. Il y a simplement là un intérêt de bruit, une enfilade de scènes destinées à agir sur le gros public. C’est l’art des tréteaux, avec les ressources de la mise en scène moderne.

Je ne parle pas de la vérité. Une des choses qui m’ont le plus stupéfié, ç’a été de voir une troupe de gardes, les gardes de la duchesse de Nevers, passer par la chambre à coucher de la reine de Navarre. La duchesse traverse la chambre, il est vrai ; mais est-il acceptable que les gardes la traversent aussi ? Je me demande encore ce que ces gardes font là. Une chose bien étrange aussi, c’est la façon dont le roi tire sur le peuple. Il dirige d’abord son arme sur Henri de Navarre, puis reculant pour ne pas céder à une pensée criminelle, il s’écrie : « Il faut pourtant que je tue quelqu’un : » Et il tire par la fenêtre. Remarquez que le Charles IX du drame est un personnage sympathique ; les auteurs ne lui ont donné que cet accès de férocité, pour utiliser la légende : c’est un placage visible, d’un effet qui consterne. Le pis est qu’on charge si fortement l’arquebuse, afin d’émouvoir la salle sans doute, que le roi a l’air de tirer un coup de canon.

La partie la plus puissante du drame est l’empoisonnement de Charles IX, à l’aide d’un livre de chasse, dont Catherine de Médicis a trempé les pages dans une solution d’arsenic et qu’elle destinait à Henri de Navarre. La fatalité vengeresse veut que la mère tue ainsi son propre fils. Ajoutez que le duc d’Alençon, le frère du roi, surprenant celui-ci en train de s’empoisonner, en mouillant son doigt afin de tourner les pages, le laisse tranquillement continuer, jugeant l’occasion bonne pour monter sur le trône. Une famille intéressante, vraiment ! À ce propos, je faisais une réflexion. Pourquoi, au théâtre, permet-on tous les crimes dans les familles royales ? Le théâtre classique nous montre les rois grecs s’égorgeant entre eux avec la plus belle facilité du monde. Les drames romantiques abusent aussi des rois chenapans. Dans les drames bourgeois, au contraire, les trop gros crimes indignent la salle. Sans doute, il faut porter couronne pour être un gredin à son aise.

Je ne parle toujours pas de vérité. Rien n’est plus comique, au fond, que ce roi empoisonné qui se promène encore dans une demi-douzaine de tableaux, avec des accès de coliques de temps à autre. Il finit par savoir qu’il a de l’arsenic dans le corps, et René, un savant médecin, lui ayant dit qu’il n’y avait rien à faire, il ne fait rien pour lutter contre la mort. Cela est inacceptable, l’arsenic est un poison que l’on combat parfaitement. J’ai été obsédé par cette idée pendant toute la deuxième partie du drame : « Mais pourquoi Charles IX n’est-il pas dans son lit ? » C’est un souci vulgaire, une préoccupation bourgeoise, je le sais ; mais je ne puis rien contre les habitudes de mon esprit. Lisez donc Madame Bovary, voyez comment on meurt par l’arsenic, vous me direz ensuite si Charles IX n’est pas très drôle. Non seulement aucun des symptômes n’est observé, mais encore il est impossible que le roi ne se mette pas entre les mains des médecins, en leur disant de tenter quand même la guérison.

Les personnages de Coconnas et de La Mole, qui ont fait autrefois le succès du drame, sont des silhouettes enluminées de tons vifs pour les spectateurs peu lettrés. D’ailleurs, la partie purement romanesque tient fort peu de place, et l’on regrette l’histoire, cette Marguerite si belle, que tout son siècle a adorée. Comme elle est réduite là-dedans à un rôle de poupée vulgaire ! Elle, la savante, la spirituelle, l’amoureuse, c’est à peine si elle est un rouage dans cette machine dramatique. Tout se rapetisse et s’aplatit. On dirait un théâtre mécanique. Le plus grand défaut de ces vastes pièces populaires, découpées dans des romans, c’est de réduire ainsi les personnages les plus importants à des emplois d’utilités ; il ne reste guère que de la figuration ; toute la chair de l’œuvre s’en va pour ne laisser voir que la carcasse. D’autre part, on ne comprend plus que difficilement, on doit sans cesse suppléer à ce que les héros n’ont pas le temps de nous dire.

Le succès de la Reine Margot a été très vif autrefois, et il est possible que la reprise soit fructueuse. Sans doute, pour goûter une œuvre pareille, il faut une naïveté d’impressions que je n’ai plus. Si je pouvais retrouver mes seize ans, mes durs commencements de jeune homme, et prendre une place en haut, à une des galeries, je serais sans doute moins sévère. Mais trop d’études ont passé sur moi, trop d’analyses et trop d’observations, pour que je puisse me plaire à une œuvre qui m’ennuie par sa puérilité et qui me fâche par ses mensonges. Je suis même d’avis que, si le peuple s’amuse à un pareil spectacle, on devrait l’en sevrer, car il ne peut qu’y fausser son jugement et y désapprendre notre histoire nationale.


V


La reprise du Bâtard, à la Porte-Saint-Martin, vient de remettre pour un instant en lumière la figure d’Alfred Touroude. Il paraissait bien oublié ; la mort, en une seule année, l’avait pris tout entier, et il a fallu le chômage des grosses chaleurs, l’embarras des critiques qui ne savent comment emplir leurs articles, pour ressusciter cet auteur dramatique déjà couché dans le néant.