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LES THÉORIES

public : les applaudissements partent, la salle s’enthousiasme, lorsqu’un accent de vérité a donné aux mots prononcés la valeur exacte qu’ils doivent avoir. Tous les grands triomphes de la scène sont des victoires sur la convention.

Hélas ! oui, il y a une langue de théâtre : ce sont ces clichés, ces platitudes vibrantes, ces mots creux qui roulent comme des tonneaux vides, toute cette insupportable rhétorique de nos vaudevilles et de nos drames, qui commence à faire sourire. Il serait bien intéressant d’étudier la question du style chez les auteurs de talent comme MM. Augier, Dumas et Sardou ; j’aurais beaucoup à critiquer, surtout chez les deux derniers, qui ont une langue de convention, une langue à eux qu’ils mettent dans la bouche de tous leurs personnages, hommes, femmes, enfants, vieillards, tous les sexes et tous les âges. Cela me paraît fâcheux, car chaque caractère a sa langue, et si l’on veut créer des êtres vivants, il faut les donner au public, non seulement avec leurs costumes exacts et dans les milieux qui les déterminent, mais encore avec leurs façons personnelles de penser et de s’exprimer. Je répète que c’est là le but évident où va notre théâtre. Il n’y a pas de langue de théâtre réglée par un code comme coupe de phrases et comme sonorité ; il y a simplement un dialogue de plus en plus exact, qui suit ou plutôt qui amène les progrès des décors et des costumes dans la voie naturaliste. Quand les pièces seront plus vraies, la diction des acteurs gagnera forcément en simplicité et en naturel.

Pour conclure, je répéterai que la bataille aux conventions est loin d’être terminée et qu’elle durera sans doute toujours. Aujourd’hui, nous commençons â voir clairement où nous allons, mais nous pataugeons encore en plein dégel de la rhétorique et de la métaphysique.



LES COMÉDIENS


I


Je voudrais, à propos du concours du Conservatoire, dire mon mot sur l’éducation officielle qu’on donne en France aux comédiens.

Certes, cette éducation officielle est dans l’ordre accoutumé de notre esprit français. Le nom de l’établissement où elle est donnée, le « Conservatoire », suffit à indiquer qu’il s’agit d’y conserver les traditions, d’y enseigner un art en quelque sorte hiératique, dont toutes les recettes sont immuables. Tel geste signifie telle chose, et ce geste ne saurait être changé. Il y a un jeu de physionomie pour l’étonnement, un pour l’effroi, un pour l’admiration, et ainsi de suite, toute une collection de jeux de physionomie qui s’apprennent et qu’on finit par savoir employer, même avec une intelligence médiocre. Il en est de même pour les peintres à l’École des Beaux-Arts. On parvient à y fabriquer un peintre, quand le sujet n’est pas complètement idiot, et que la nature l’a bâti physiquement à peu près complet, avec des jambes et des bras.

Et remarquez que je ne nie pas la nécessité de ces écoles. De même qu’il faut des peintres décents, sachant leur métier pour décorer nos salons bourgeois, de même il faut des comédiens qui sachent se tenir en scène, saluer et répondre, pour jouer l’effroyable quantité de comédies et de drames que Paris consomme par hiver. Au moins, un élève qui sort du Conservatoire connaît les éléments classiques de son métier. Il est le plus souvent médiocre, mais il reste convenable, il s’acquitte honorablement de son emploi.

Je me montrerai plus sévère pour l’enseignement lui-même, pour le corps des professeurs. Sans doute, ils ne peuvent pas donner du génie à leurs élèves. Peut-être même sont-ils obliger, jusqu’à un certain point, de rester dans la routine pour ne pas bouleverser d’un coup des habitudes séculaires. Un enseignement est forcément basé sur un corps de doctrine, qui permet de l’appliquer au plus grand nombre, à la moyenne des intelligences. Mais, vraiment, la tradition théâtrale est chez nous une des plus fausses qui existent, et il serait grand temps de revenir à la vérité, petit à petit, si l’on veut, de façon à ne brusquer personne.

Qu’on réfléchisse un instant aux conventions ridicules, à ces repas de théâtre où les acteurs mangent de trois quarts, à ces entrées et à ces sorties solennelles et grotesques, à ces personnages qui parlent la face toujours tournée vers le public, quel que soit le jeu de scène. Nous sommes habitués à ces choses, elles ne nous blessent plus ; seulement, elles gâtent l’illusion et elles font du théâtre un art faux qui compromet les plus grandes œuvres.

Je ne parle pas des peuples latins, des Italiens et des Espagnols, dont l’art dramatique est encore plus ampoulé et plus conventionnel. Mais, chez les peuples du Nord, les comédiens jouent beaucoup plus librement, sans tant s’inquiéter de la pompe de la représentation. Par exemple, chez nous, il n’y a que les grands comédiens, ceux dont l’autorité est souveraine sur le public, qui osent lancer certaines répliques en tournant le dos à la salle. Cela n’est pas convenable. Pourtant, il y a des effets puissants à tirer de la vérité de cette attitude, qui se produit à chaque instant dans la vie réelle. Le fâcheux est que nos comédiens jouent pour la salle, pour le gala ; ils sont sur les planches comme sur un piédestal, ils veulent voir et être vus. S’ils vivaient les pièces au lieu de les jouer, les choses changeraient.

On parle de l’optique théâtrale. Cette optique n’est jamais que ce qu’on la fait. Si l’enseignement serrait la vie de plus près, si l’on ne chan-