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GEORGE SAND

par un coup de baguette, sans que rien nous ait préparés à ce changement, et deviendra un modèle de vertu, pour l’édification des âmes sensibles !

Non, la chute est vraiment trop rude. Montjoye est un criminel dont le repentir ne nous touche pas. Il s’est rendu impossible ; il n’a qu’une chose à faire, s’il voit enfin clair dans sa conduite : avaler son code et se passer sa fameuse épée au travers du corps, pour débarrasser les siens. Voyez-vous Georges marié et dînant avec son gredin de beau-père ? Je ne parle pas de l’invraisemblance d’une pareille conversion. On ne retourne pas un homme en une minute. Les quatre premiers actes ne sont que faux et inconséquents. Le cinquième noie dans de l’enfantillage une action mélodramatique.

L’homme fort est donc par terre. Je soupçonne que M. Feuillet voulait justement en venir là. Il a commencé par noircir l’homme fort, l’homme du siècle, pour que la conversion qu’il rêvait fût ensuite plus éclatante. Peu importent les entorses à la vérité. Quand on veut prouver, on dispose les personnages comme des arguments. Voilà le scepticisme, voilà la force qui ne reconnaît pas Dieu : un coquin, un voleur, un assassin. Et maintenant, voici Dieu, voici le cœur, voici le devoir : un pantin féroce qui brusquement devient un ange. Après ce beau coup, M. Feuillet croit sans doute avoir vaincu le siècle. Allons, l’homme fort reste à créer, la querelle demeure entière, entre l’homme dont la volonté s’affole, et Dieu qui se transforme.

Montjoye n’en est pas moins une comédie faite avec talent. Je dirai même qu’elle est la plus forte de M. Octave Feuillet. Elle contient quelques belles scènes, et elle est menée scéniquement avec une rare habileté. Enfin, certains détails sont charmants. On raconte que, si l’on a hésité si longtemps à la reprendre, c’était qu’on ne savait à qui confier le rôle de Montjoye, créé par Lafont. Il fallait, paraît-il, beaucoup de distinction. Cela achève, pour moi, de caractériser le rôle ; de la distinction dans de la coquinerie, c’est toute une littérature. Montjoye, tel que l’a compris M. Feuillet, ne serait pas complet, en effet, s’il n’était point distingué.



GEORGE SAND


I


Le théâtre de George Sand a un grand charme. Longtemps on a refusé au romancier le don des planches. On trouvait, et avec raison, qu’elle n’avait pas la science de la charpente dramatique, qu’elle ne savait point nouer habilement ni dénouer une intrigue. En un mot, on la jugeait trop littéraire, trop simple et trop humaine. Ai-je besoin de dire que c’est justement pour ces qualités rares qu’une partie de son théâtre me plaît ?

D’ailleurs, elle a remporté de grands succès au théâtre, et toujours par une simplicité de moyens très louable. Je parlerai plus loin de son Mauprat, qui est une pièce bâtarde, mélodramatique et paradoxale, tout à fait médiocre selon moi. Mais quelle bonhomie pleine de tendresse, quel beau courant de facilité aimable dans le Marquis de Villemer et dans Claudie, par exemple ! Certes, je ne trouve pas là tout ce que je voudrais ; une chose y est au moins : le dédain de la mécanique théâtrale, l’effet obtenu par le développement naturel des caractères et des sentiments, et c’est là un beau mérite déjà.

Le succès de François le Champi vint également de l’heureuse simplicité du drame. Le public dut subir le charme de cette histoire toute nue, que l’auteur lui contait en trois actes, sans employer le moindre coup de théâtre. Je cherche aujourd’hui des arguments pour établir sur des faits que la mécanique théâtrale n’est pas de toute nécessité, et j’ai déjà trouvé les arguments péremptoires de l’Ami Fritz, de la Cigale, du Club. Comme on le voit, il y a trente ans, François le Champi m’aurait fourni, lui aussi, un article, ce qui prouve qu’à toutes les époques le talent a suffi pour le succès, sans qu’on ait à s’embarrasser le moins du monde des prétendues règles. Même j’irai plus loin : François le Champi a été certainement un repos délicieux pour le public, au milieu des abominations compliquées du mélodrame romantique.

Aujourd’hui, ce qui nous fait accueillir François le Champi avec quelque froideur, c’est l’intolérable prétention à la naïveté qu’on y rencontre, dans les moindres phrases. L’histoire en elle-même est charmante ; mais, bon Dieu ! comme le cadre est maniéré, comme ces paysans sont de drôles de paysans ! Le roman et la pièce ont été écrits à l’époque où triomphait le principe de la couleur locale. Pour donner de la couleur locale à une œuvre, le procédé était simple ; par exemple, dans un roman italien, on mettait des « signor », et dans un roman espagnol, des « señor » ; ou encore, quand on faisait parler un paysan, on lui prêtait des « j’avions » et des « j’étions » : cela suffisait, l’étude semblait complète. Sans doute, George Sand, avec son grand talent, procédait d’une façon plus littéraire ; mais, au fond, soyez certain que son insouciance était la même pour une étude complète et sincère.

Je me trompe, je veux même croire qu’elle était de bonne foi. Peut-être s’est-elle imaginé que, dans ses romans champêtres, elle avait étudié le Berry d’une façon sérieuse. Il n’y a eu